La respiration


   

Le souffle, la personnalité et les émotions

 

Qu’est-ce que la personnalité ? Avons-nous plusieurs personnalités ? Ces deux questions sont au centre de notre intimité et de notre vie sociale. Si nous prenons le Littré, célèbre dictionnaire de la langue française, nous pouvons lire à "personnalité" les définitions suivantes : 1) Terme didactique. Ce qui appartient essentiellement à une personne, ce qui fait qu’elle est elle et non pas une autre. 2) Caractère, qualité de ce qui est personnel. 3) Attachement à sa propre personne.

Nous voilà peu avancé, rien de nouveau, plutôt des informations éparses. Si nous prenons maintenant le Petit Larousse, nous lisons : 1) Ensemble des comportements, des aptitudes, des motivations, etc. , dont l’unité et la permanence constituent l’individualité, la singularité de chacun. Cette dernière définition nous convient mieux, mais toutefois pas complètement. Il n’est fait référence ici qu’à une seule personnalité, celle que nous pourrions appeler personnalité psychologique. Mais cette dernière est-elle unique ? Est-elle le seul élément, la seule facette qui fasse notre individualité, notre singularité ?

Pour donner une réponse accordée à notre vision de la respiration et de ses interactions avec le corps, l’énergie, le mental et ses contenus – vision qui est celle du yoga –, nous proposons une classification qui postule trois personnalités, ou trois structures distinctes de ce que nous appellerions alors l’individualité humaine, à savoir : la personnalité animale, la personnalité psychologique, la personnalité spirituelle. Nous aurons soin de ne pas oublier que ces trois structures sont inextricablement liées et en constante interdépendance, qu’elles sont animées par une énergie commune qui prend des fréquences particulières selon les besoins spécifiques de chacune, c’est l’énergie sexuelle. Mais aussi qu’elles font de l’homme un être tout à fait à part, ni ange ni bête comme l’affirmait Pascal, qui baigne dans une ambiguïté, un paradoxe déroutant, celui d’être une personne farouchement indépendante mais viscéralement liée au troupeau de son espèce. Nous touchons sans doute la source de la morale et de la conception humaine du monde et de la vie ordonnancée selon le principe dichotomique du bien et du mal. Enfin souvenons-nous que dans l’évocation de la nature humaine et de ses personnalités, l’individuel et le collectif sont liés. La somme des individualités qui composent l’humanité crée une nouvelle personnalité globale, celle de l’espèce. L’être humain est pris dans un double jeu, celui de sa propre personnalité et de la personnalité collective. Cette dernière n’est que le miroir de la première, elle se manifeste et se cristallise dans tout se qui compose une société donnée. À la base c’est l’ensemble des humains qui crée la société à son image, et non pas la société qui façonne l’individu. Ensuite l’appréciation peut être plus nuancée. Si nous acceptons comme postulat que chaque tendance personnelle a besoin d’être animée par une énergie pour s’actualiser, nous constatons que tout peut se résumer à un jeu de connexions énergétiques, là comme ailleurs dans les affaires humaines. Connexions à l’intérieur dans le microcosme humain, à l’extérieur dans le macrocosme, et entre les deux.

Mais revenons à nos singularités… Avant de les présenter, nous allons les situer. Selon un point de vue énergétique commun au yoga, à l’acupuncture, au zen, au bouddhisme, etc., l’ensemble des tendances humaines ne sont pas localisées dans le cerveau mais dans la structure énergétique. Ainsi la personnalité animale est localisée entre l’anus et le ventre, la personnalité psychologique entre le cœur et la gorge, et la personnalité spirituelle dans la tête.

 

La personnalité animale

La personnalité animale est notre corps, notre héritage génétique et tous nos instincts vitaux. Maintes de nos attitudes comportementales individuelles et de groupe relèvent de ce terrain, alors qu’on les prend pour des traits de caractère. Certaines énergies sont spécialement affectées à ce niveau de notre individualité et en gèrent les qualités, indépendamment de notre tradition religieuse, de notre culture sociale, de notre éducation, de notre histoire personnelle. Elles peuvent se manifester par des sentiments ou des émotions, car c’est là, dans les processus mentaux et conscients, le seul moyen que nous ayons pour saisir notre compréhension, notre interprétation de nous-même et du monde environnant, le rôle de chef d’orchestre que prend la personnalité psychologique. Cependant ces comportements animaux restent souvent voilés, ils sont aseptisés par l’éducation et la culture sociale. Ces comportements animaux sont articulés – et nous-même au passage – en bonne intelligence avec le cadre général légal, moral ou religieux de la société dans laquelle nous vivons. Dans une même époque ces cadres peuvent être différents d’un environnement social ou politique à l’autre. Evidemment cette articulation est illusoire, car les conditionnements inscrits dans notre animalité se moquent bien de ce genre de canevas. Un instinct reste un instinct. Même s’il est refoulé, socialisé, l’énergie qui l’active ne peut jamais s’éteindre car elle fait partie du patrimoine de l’espèce. Elle couve perpétuellement comme un volcan, elle n’a besoin que d’une occasion, que d’une provocation pour se réveiller. Si cela se produit, tous nos échafaudages moraux ou sociaux vacillent face à la puissance de ces énergies animales. Celles-ci contiennent les tendances de conservation et de préservation de l’espèce ou de l’individu. Ça laisse entrevoir leur puissance. La nature leur a assigné un plan précis. Cette mission, la plus importante pour un être vivant, est d’assurer la vie et la survie quel qu’en soit le prix, personnel ou collectif. Ces énergies mettent en place tout ce qui est apte à pérenniser l’individu, fût-ce au détriment des autres ou de l’environnement (social/naturel). On peut dire ainsi que la mission de la personnalité animale est simple. Les énergies dont la nature l’a dotée pour assurer son plan sont susceptibles de s’opposer aux autres personnalités de l’homme (psychologique et spirituelle) et aux énergies qui les animent, principalement celles du niveau psychologique. Nous touchons ici la cause sous-jacente, mais au combien active, responsable des multiples conflits qui tourmentent l’individualité humaine et donc la personnalité sociale qu’elle a créé… Un coup d’œil sur l’actualité quotidienne du monde ne devrait pas démentir notre propos…

 

La personnalité psychologique

Nous sommes corps et esprit, deux parties bien réelles, non subjectives, qui se complètent pour donner un tout harmonieux sauf que… Sauf qu’une relation entre deux éléments implique l’apparition d’un troisième, le troisième larron… Dans le cas présent c’est la personnalité psychologique, élément presque virtuel, qui n’a pas de contenus propres et qui va se nourrir de ceux des deux autres éléments, l’animal et le spirituel. Elle va réaliser une synthèse entre les tendances, les objectifs de l’un et de l’autre. Elle est un chef d’orchestre qui va faire jouer aux autres un air commun, le sien. À la naissance elle n’a pas – ou presque pas – de contenus qui lui sont propres car sa mission sera de réaliser le lien entre le corps et l’esprit et de coordonner leurs tendances. Dire qu’elle n’a pas de contenus propres n’est pas dire qu’elle n’a pas de processus de fonctionnement. Bien au contraire, ce processus est fort puissant car il contient les règles qui vont faire de l’homme un individu social, collectif. Mais cette absence de contenus personnels va l’inciter à accaparer les contenus des deux autres, à les réinterpréter pour les faire siens, et comme la personnalité psychologique est en lien direct avec la pensée, elle aura le plus clair du temps choix et décision. Son objectif est d’asseoir sa suprématie sur le corps et l’esprit, de devenir le maître des lieux, le directeur incontournable, le décideur incontestable et inattaquable qui va tout utiliser à ses propres fins, tendances internes comme expériences externes, mettant en avant sentiments et émotions pour camoufler une pulsion égocentrique irrésistible. Car c’est le cœur de cette personnalité qui contient l’ego, le moi, le soi, le toi ou tout ce que vous voulez du même genre... Cette pulsion est fondamentalement naturelle. C’est une sorte de tour édifiée pour consolider une place vulnérable, habitée et défendue par des contenus et des énergies instables. C’est ici la particularité de cette personnalité. Autant les personnalités animale et spirituelle ont des énergies et des objectifs stables, clairement définis, autant la personnalité psychologique est prévue fluctuer en permanence afin d’adapter les comportements, les actions et réactions humaines aux événements extérieurs et intérieurs, aux choses et aux gens. C’est une forme de souplesse circonstancielle. Les énergies qui gèrent cette personnalité ont des fréquences en constant mouvement, instables, en lien direct avec la respiration, qui mixent et adaptent les tendances corporelles et spirituelles, l’histoire personnelle, les événements présents et l’ensemble des paramètres extérieurs humains, à savoir les autres individus, les règles sociales et morales. D’une certaine façon on peut dire que les contenus de cette personnalité sont la somme des expériences qu’un individu a perçues par l’intermédiaire de ses sens. C’est une personnalité opportuniste, qui aurait été différente si l’individu était né à une autre époque, dans une autre famille, une autre culture, ou tout simplement s’il avait emmagasiné d’autres événements. Elle n’a pas de contenus héréditaires "génétiques", à la naissance elle n’est qu’un fonctionnement vide – ou presque car il y a tout de même les contenus des autres personnalités – qui va s’activer au fur et à mesure des expériences accumulées (les perceptions sensorielles). Située dans le milieu de la poitrine, elle habite un lieu qu’elle partage avec les énergies du souffle qui y "siègent" également. On saisit ici comment ces énergies instables, prévues pour osciller au gré des événements et des humeurs, peuvent modifier la respiration. Ces énergies s’expriment par les émotions qui sont vécues positivement ou négativement selon la programmation individuelle. On comprend comment le souffle est au cœur de nos fluctuations personnelles et pourquoi sa maîtrise peut assurer une bonne stabilité personnelle.

 

La personnalité spirituelle

La personnalité spirituelle enfin est située dans la tête. Elle s’exprime principalement autour de deux pôles, "l’instinct religieux" et le sentiment esthétique qui sont caractéristiques de l’animal humain. Il semble étonnant d’associer instinct et religieux, les deux termes n’évoquant pas les mêmes registres. Pourtant l’histoire montre que depuis les temps les plus reculés l’humain est un animal religieux et esthétique, déjà la grotte de Lascaux en a fixé les traces. Le sacré ou le religieux apparaissent constamment quels que soient l’époque, le lieu ou la couleur de la peau. C’est une aspiration vers le haut, vers le mystère, vers l’invisible, un désir incoercible de se relier à une autre dimension de la vie et de l’univers. C’est une quête de sens qui fait de l’homme un être réfléchi qui n’est pas seulement un consommateur de la vie mais aussi un chercheur de signification et de devenir. C’est la quête du savoir. Cette poussée est aussi irréductible et naturelle que la faim, la soif, le sommeil ou la violence, etc., elle appartient intimement à la personnalité spirituelle. Elle s’exerce différemment d’un individu à l’autre comme d’une époque à l’autre. Dans notre société elle est le ferment de la recherche scientifique. C’est ce besoin religieux qui pousse l’homme à découvrir les secrets de la vie, indépendamment des religions qui n’en sont que de pâles succédanés organisés en confréries sectaires et intolérantes. C’est aussi cet instinct religieux qui incite l’individu à chercher à mieux se connaître et à mieux se comprendre intérieurement et dans son environnement. Il s’exprime depuis longtemps par la philosophie et plus récemment par la psychanalyse et toutes les formes d’étude et de méthode d’introspection psychologique, dont s’empare avidement la personnalité psychologique pour nous faire croire que cela dépend d’elle et pour asseoir encore davantage sa main mise. Cet instinct spirituel est sûrement aujourd’hui à la base de la pulsion qui a donné le jour à l’informatique, il crée l’attrait pour les mondes virtuels, qu’ils soient ceux de la mythologie ou d’internet. Il n’y a rien d’étonnant dans tout cela si l’on accepte que religieux et religions ne sont pas identiques, qu’ils sont même presque opposés. Les religions éloignent du religieux, du sacré, notions qui ne sont pas du domaine des croyances mais de l’instinct spirituel. Le sentiment religieux ou sacré n’a pas de rapport avec les religions ou avec Dieu. Il concerne l’ensemble de l’espèce humain, que l’individu soit croyant ou non croyant. Ce sentiment est animé par une énergie intarissable qui complète et équilibre l’énergie animale. Tout serait parfait s’il n’y avait pas entre elles le troisième larron… Quand ce sentiment religieux s’exprime très fort chez quelqu’un, il réduit sa respiration et le fait passer dans le souffle énergétique. Le sentiment esthétique est l’autre polarité de cette personnalité. Il nourrit et se nourrit de l’art sous toutes ses formes qui devient un moyen de communiquer, de connaître – au delà de l’expérience ordinaire – par la musique, la danse, l’écriture, la peinture, la sculpture, etc. Tous les arts sont équivalents s’ils viennent du sentiment esthétique et non d’une recherche de profit, de célébrité ou d’ambitions du même genre. L’esthétique infuse la vie humaine et sociale, ses énergies sont actives et incitent l’homme à se regrouper autour d’affinités identiques. L’esthétique trouve son impulsion dans l’énergie sexuelle, ce qui montre son ambiguïté. A ce propos, afin d’éclairer cette ambiguïté, le tantrisme emploie cette expression intéressante : "Ce qui est en haut est aussi en bas". Ceci indique que les énergies animales et spirituelles sont mélangées, qu’elles sont deux polarités d’une même énergie, deux faces d’une même entité. Comme deux faces impossibles à voir en même temps, ces deux énergies ne fonctionnent pas simultanément mais peuvent activer les fonctionnalités des deux personnalités. Le sexe et l’esprit sont tout autant en intime proximité que très éloignés. Il est connu que les plus grands artistes ont une puissance sexuelle supérieure à la moyenne.

 

La respiration là-dedans

Les contenus de notre individualité sont animés par l’ensemble des énergies qui régissent nos personnalités. Le souffle relie ces énergies et ces contenus. Il en fait une entité indissociable. Il est donc sujet aux fluctuations de ses deux "partenaires" et devient ainsi un baromètre visible de nos fluctuations intérieures. Mais la relation qui l’implique avec ses deux partenaires est symétrique : ceux-ci peuvent l’influencer mais lui-même peut également les influencer. Ainsi dans l’état naturel des choses – si l’individu ne fait rien pour changer son souffle – il suit les vagues de ses intimités. Alors que dans le cadre d’une pratique de respiration il prend le commandement, il permet d’installer stabilité et recul personnel. Le tour est joué, c’est un petit rien qui fait tout, étonnamment simple et naturel, loin des "complications" de la psyché. Réguler consciemment le va et vient continuel de l’air – pont entre l’intérieur et l’extérieur – est plus efficace que mille discours, analyses ou relaxations, car cela rive l’individu au centre de lui-même, quels que soient la houle ou les tourments qu’il traverse. La conscience du souffle est une empreinte permanente qui maintient une vigilance intime et souple à la fois. Cette dernière est garante de notre stabilité personnelle. Aucune méthode épisodique limitant l’introspection à une demi-heure ou une heure par jour n’est susceptible de laisser des empreintes assez fortes pour stabiliser le flot incessant de nos pensées et de nos émotions, flot tendu par nos énergies intimes, par la vie elle-même. À choisir, il vaut mieux être présent à soi-même tout au long de la journée grâce à la conscience de la respiration que de s’analyser ou se relaxer une heure de temps en temps. Le mieux est évidemment de faire les deux…

 

Christian Tikhomiroff

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Souffle et énergie - Souffle et maîtrise des pensées  
Les fonctionnements du souffle